« Depuis des décennies, le logement social est une importante source d’innovations architecturales »
Interview de Christine Leconte, Présidente de L’Ordre des architectes d’Ile-de-France
L’AORIF a lancé une campagne de communication dans le cadre des élections municipales « Logement social en Ile-de-France, IDÉES NEUVES ! », quelle idée du logement social voudriez-vous défendre dans la région capitale ?
Christine Leconte : L’accès au logement est une priorité pour notre région. Nous touchons actuellement le paroxysme de ce qui n’est plus supportable pour les habitants. Le logement social aide à lutter contre une gentrification excluante. Les plus précaires sont touchés depuis longtemps. C’est actuellement le tour des classes moyennes. Les chiffres de la Fondation Abbé Pierre sont éloquents et soulignent également des problématiques moins connues : le surpeuplement des logements, l’accès à un logement digne pour les familles monoparentales… Il faut donc innover, notamment en élargissant le spectre des types d’offres, en mutualisant des services… Les coopératives d’habitants peuvent être des exemples intéressants. Une belle exposition leur est d’ailleurs consacrée à la Cité de l’architecture et du patrimoine en ce moment.
La frénésie immobilière, particulièrement forte à Paris et en petite couronne, se diffuse désormais en grande couronne. Nous devons être extrêmement attentifs à ce que le logement social irrigue l’ensemble des territoires franciliens et ne soit surtout pas relégué dans les zones moins attractives pour le marché privé. En termes de localisation, ils doivent être conçus en lien avec le développement de stratégies de transports en commun ambitieuses et cohérentes. Face à des dynamiques économiques souvent ravageuses, le logement social a un rôle régulateur – contracyclique diraient les économistes – majeur, raison pour laquelle il doit être présent dans chaque programme développé. Cette exigence va de pair avec une attention accrue, à la fois sur l’équilibre des dynamiques territoriales et sur la densité des tissus métropolitains et périurbains, condition sine qua non de l’acceptabilité sociale.
Nous devons être extrêmement attentifs à ce que le logement social irrigue l’ensemble des territoires franciliens et ne soit surtout pas relégué dans les zones moins attractives pour le marché privé.
(…) Le logement social a un rôle régulateur – contracyclique diraient les économistes – majeur, raison pour laquelle il doit être présent dans chaque programme développé.
Le logement social doit également prendre toute sa part dans la transition écologique : recyclage, matériaux biosourcés, réhabilitations doivent désormais être la norme. Il est également essentiel de transformer le logiciel de rénovation hérité de l’ANRU. Alors que le secteur du bâtiment représente 70% de la production de déchets en Île-de-France, il n’est plus possible de démolir les logements sociaux existants sous la pression foncière et immobilière, a fortiori quand ils sont labellisés « Architecture Contemporaine Remarquable » par le Ministère de la Culture. Les opérations de réhabilitation doivent devenir la norme, ce qui ne veut pas dire figer le bâti ou renoncer à l’innovation. Certaines opérations ambitieuses existantes, notamment portées par des binômes bailleurs-architectes militants ou menées dans le cadre du programme REHA du PUCA – dont l’Ordre est partenaire – témoignent de ces possibilités.
Le logement social est historiquement un terreau d’innovation architecturale, est-ce toujours le cas ? Quelles innovations vous paraissent porteuses de sens pour le logement de demain ?
Depuis des décennies, le logement social est une importante source d’innovations architecturales. Ce n’est pas un hasard si nombre d’architectes de premier plan y ont associé leurs noms. Cela tient à la nature innovante en soi de l’architecture, intrinsèquement liée sa valeur sociale. Car chaque projet suppose de répondre à des contraintes particulières, dans un contexte de préoccupations sociales plus larges. Aujourd’hui, nous pouvons citer trois axes d’innovation majeurs : l’inscription dans la transition écologique (à travers le développement des constructions BBC et passives), la prise en compte renforcée des enjeux de santé publique (avec l’utilisation de matériaux plus sains, à commencer par les matériaux biosourcés) et l’adaptation aux risques de surdensité (avec la mutualisation intelligente des espaces). Et il en existe d’autres. L’Etat doit garantir cette capacité d’innover. Malheureusement la loi ELAN a fragilisé le modèle économique du logement social et oublié l’importance de la mission complète de l’architecte. Nous suivrons donc avec beaucoup d’attention les résultats de la mission confiée par les Ministres de la Culture, de la Ville et du Logement ainsi que de la Transition écologique et solidaire à Pierre-René Lemas, ancien Directeur général de la Caisse des Dépôts, sur « la qualité d’usage et la qualité architecturale des logements sociaux ».
Aujourd’hui, nous pouvons citer trois axes d’innovation majeurs : l’inscription dans la transition écologique (…), la prise en compte renforcée des enjeux de santé publique (…) et l’adaptation aux risques de surdensité (…). Et il en existe d’autres. L’Etat doit garantir cette capacité d’innover.
Entre le Grand Paris Express et les Jeux Olympiques, la ville ne cesse de se (re)construire. Quelle place occupe ou doit occuper l’architecture et les architectes dans ce vaste processus ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut combattre l’idée que l’architecture est liée uniquement à l’esthétique et à l’image. L’architecture, ce n’est pas le design de façade qui habille un projet économique déconnecté. Les enjeux économiques existent, mais aborder les projets par ce seul biais revient à les condamner à une obsolescence rapide. N’oublions pas que la construction de la ville se fait sur le long terme ! Il faut donc donner toute sa place à l’architecture. Car l’architecture touche à l’usage, au confort, à la santé. À toutes les échelles. Elle transcrit spatialement les valeurs d’une société, elle est le recueil de nos émotions, de nos valeurs communes. Elle crée des liens. Si nous ne prenons pas soin de la conception de nos espaces de vie, les liens se distendent et nous accentuons la tendance à l’individualisme dans notre société. Il faut donc donner à l’architecture sa juste place en amont de toutes pressions économiques. Et c’est souvent là que le bât blesse, particulièrement sur les projets importants.
L’architecture touche à l’usage, au confort, à la santé. À toutes les échelles. Elle transcrit spatialement les valeurs d’une société, elle est le recueil de nos émotions, de nos valeurs communes. Elle crée des liens. Il faut donc donner à l’architecture sa juste place en amont de toutes pressions économiques.
Nous avons depuis des décennies usé d’un modèle d’aménagement du territoire qui, écologiquement parlant, nous mène droit dans le mur. L’architecture et les architectes doivent, dans leurs discours et leurs pratiques, sensibiliser à un message : la ville doit désormais être réparée. Halte au gaspillage de territoires, de matériaux… C’est un changement de paradigme qui, à chaque étape, doit désormais intégré la logique en coût global (donc sortir de la logique économique – économiste – classique). Pour notre profession, cela suppose de réaffirmer ceci : les architectes, avec tous les acteurs, en lien étroit avec la puissance publique et les citoyens, doivent contribuer à garantir en amont la justesse et la pérennité des équilibres territoriaux. Nous avons tous pu constater les ravages causés quand ces démarches sont absentes et que le seul intérêt court-termiste l’emporte : lotissements à perte de vue, centres commerciaux… Cela suppose donc de passer progressivement d’une économie de la consommation mondialisée à une économie circulaire et des circuits courts.
Les 18, 19 et 20 octobre 2019, les Journées nationales de l’architecture ont été organisées sur l’ensemble du territoire pour rendre l’architecture accessible et faire découvrir la richesse du métier d’architecte. Quel bilan en tirez-vous ?
Cette mobilisation annuelle confirme la nécessité de poursuivre la sensibilisation aux enjeux architecturaux. Il faut ouvrir le regard sur l’architecture dès l’enfance… Nombre de blocages s’expliquent souvent par le déficit de connaissance des élus et des citoyens à propos des enjeux d’aménagement, d’urbanisme et d’architecture. Or ils ont un rôle majeur pour faire changer les choses. Nous devons également faire prendre conscience à chaque acteur de la construction de la nécessité d’engager une transformation majeure. Aujourd’hui, le paradoxe est que les bonnes méthodes sont globalement connues – ce que les Journées nationales de l’architecture ont montré – mais qu’elles demeurent trop marginales. Nous devons passer de l’exception à la règle, pour que la construction de la ville devienne frugale à toutes les échelles.
Crédit photo : Karine Smadja
Site internet : www.architectes-idf.org