Interview de Marianne Louradour, Directrice régionale Ile-de-France de la Banque des Territoires
Interview réalisée avant le début de la crise Covid-19 et mise à jour le 14/04/2020 pour la dernière question.
Parue dans la revue Ensemble n°56 – avril 2020
En 2018, la Caisse des Dépôts (CDC) a créé la Banque des Territoires. Pourquoi cette nouvelle structure ? Quelles sont ses missions ?
Marianne Louradour : La Banque des Territoires a été lancée le 30 mai 2018 par Eric Lombard, Directeur général de la Caisse des Dépôts et Olivier Sichel, Directeur de la Banque des Territoires, pour répondre à notre ambition stratégique d’accompagner les grandes transformations du pays et agir pour réduire la fracture territoriale et les inégalités sociales. La stratégie de transformation de la Caisse des Dépôts vise notamment à apporter des solutions plus rapides et sur-mesure aux territoires et à tous nos clients, collectivités locales, organismes de logement social, entreprises publiques locales et professions juridiques.
La Banque des territoires est une ambition, un périmètre de cohérence stratégique qui associe les fonctions de conseil, de financement et d’opérateur et une marque qui vise à doter le Groupe Caisse des Dépôts d’une identité visuelle forte et à permettre une reconnaissance dans les territoires et la bonne compréhension de nos actions. Nos modalités d’accompagnement des territoires sont bien identifiées : le financement de l’habitat et du secteur public, les investissements en fonds propres, les services bancaires, dépôts spécialisés et consignations, le conseil et l’ingénierie avec la contribution de la SCET, les capacités de gestion et de développement d’un grand opérateur de logement social et intermédiaire avec CDC Habitat.
En fonction du besoin du territoire, la Banque des Territoires peut intervenir à toutes les étapes d’un projet, en amont comme en aval.
Quels sont les grands enjeux et conséquences pour les organismes franciliens de logement social ?
Pour les organismes de logement social en Ile-de-France, les enjeux sont les suivants :
- le logement d’abord (720 000 demandeurs de logements sociaux, 120 000 personnes tous les jours dépendant des dispositifs d’accueil en hébergement),
- la rénovation urbaine avec 102 quartiers en politique de la ville,
- l’éradication des dernières passoires thermiques encore existantes dans le parc Hlm et la rénovation énergétique du plan initiatives copropriétés et des ORCOD,
- le programme Cœur de ville (23 villes concernées en Grande Couronne de l’Ile-de-France).
Nous avons cherché à donner le maximum de visibilité aux bailleurs sociaux pour qu’ils puissent continuer à investir. Notre offre d’accompagnement a été renouvelée et diversifiée avec une palette d’interventions élargie dans le cadre des Plans Logement 1 et 2 avec près de 20 Mds€ de dispositifs dédiés à l’accompagnement du secteur. Ces plans nous permettent d’apporter des réponses de premier ordre aux côtés de l’Etat, des collectivités et des bailleurs sociaux à la crise du logement abordable qui impacte la vie quotidienne de centaines de milliers de personnes en Ile-de-France, situation qui nuit aussi à l’attractivité de la région.
Notre contribution dans ce contexte a été de réaffirmer les valeurs fortes du modèle Hlm, comme l’a fait le Directeur Général Eric Lombard lors du 80ème Congrès de l’USH à Paris : financer le logement populaire par l’épargne populaire. L’épargne centralisée à la Caisse des Dépôts constitue le socle du financement du logement social en France, dispositif qui nous est envié et est actuellement étudié par plusieurs pays européens.
Selon vous, quelles sont les trois évolutions les plus marquantes qu’a connues le secteur du logement social depuis trois ans ?
Ma première remarque sera d’observer que, dans un contexte de pression foncière considérable et de tension sur les prix, les bailleurs sociaux ont répondu très significativement aux attentes sociales, environnementales et urbaines de l’habitat en Ile-de-France au cours des 3 dernières années. Ils ont porté le volume moyen des agréments à 31 700 en hausse de 20% par rapport aux 8 années antérieures, avec une programmation en PLAI en hausse moyenne de 48,7%, le tout en développant significativement les réhabilitations énergétiques. Mais, force est de constater que cet effort reste encore insuffisant par rapport aux besoins exprimés. Force est de relever aussi la rudesse de l’équation financière.
Ma deuxième remarque porte sur la simultanéité des enjeux à prendre en compte par les bailleurs sociaux depuis 3 ans, particulièrement complexe en Ile-de-France. Il s’agit d’une part de maintenir un haut niveau d’investissement pour la production neuve, la réhabilitation du parc, le lancement opérationnel du NPNRU, les actions Cœur de Ville, la résorption de l’habitat indigne et le plan Initiatives Copropriétés. D’autre part, il convient d’avancer dans le cadre budgétaire défini par les lois de finances depuis 2018 et dans la mise en œuvre de la Loi Elan qui encourage le regroupement des organismes pour gagner en efficacité et renforcer leur solidité financière. Les démarches de regroupement (fusion, absorption, SAC, adossement à un groupe…) des organismes peuvent demander du temps et nécessitent que soient traités en profondeur les aspects juridiques, fiscaux, de gouvernance et les modèles de fonctionnement des équipes. La Banque des Territoires accompagne plusieurs de ces projets territoriaux, en co-finançant des études tout en restant évidemment totalement neutre par rapport aux projets élaborés.
Ma troisième observation concerne l’innovation du secteur depuis 3 ans au service de projet urbains harmonieux, mixtes et solidaires avec des réalisations qui prennent en compte la colocation, l’habitat intergénérationnel, les résidences autonomie pour les personnes âgées, l’urbanisme transitoire, l’adaptation des formules d’accession sociale avec la mise en place d’offres par les Offices Fonciers Solidaires en bail réel solidaire, mais aussi le développement des services digitaux, le BIM, l’engagement des opérateurs dans les enjeux de la Smart City.
La Banque des Territoires se mobilise aux côtés des opérateurs et des territoires pour accompagner ces évolutions importantes et structurantes.
La Banque des Territoires apporte donc son soutien à des actions innovantes d’organismes franciliens. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Au-delà du financement en prêt, comme je l’indiquais lors des 2èmes rencontres de la Banque des Territoires Ile-de-France avec les bailleurs sociaux franciliens, nous sommes en mesure d’accompagner les bailleurs franciliens en investissement et d’accompagner certaines de leurs actions innovantes.
La Caisse des Dépôts a par exemple mis des fonds propres dans Tonus Territoires pour donner aux bailleurs la possibilité de faire de l’Usufruit Locatif Social Institutionnel. La nouvelle circulaire de la DHUP ouvre les perspectives de stratégies territoriales clarifiées, y compris en ANRU, pour développer, sans mise de fonds propre des bailleurs, un complément d’offres locatives sociales.
Mais je veux surtout rappeler que la Banque des Territoires en Ile-de-France est un investisseur très actif opérant avec de multiples partenaires, à hauteur d’environ 150 M€ par an de fonds propres dans de multiples projets pour rendre les territoires plus attractifs, plus connectés, plus durables et plus inclusifs.
Nous souhaitons trouver ensemble comment innover à partir de cette ressource d’investissement. La Loi Elan a ouvert aux opérateurs sociaux la possibilité de créer des filiales ; la Banques des Territoires propose de se mettre à disposition des projets des bailleurs sociaux annexes à leur activité principale : commerces, réseaux d’énergie, parkings, services, etc.
Je suis convaincue que de tels projets, potentiellement inter-organismes, ont du sens pour les bailleurs sociaux dans les territoires lorsqu’ils permettent à la fois d’améliorer les services de proximité au bénéfice des habitants, de mieux valoriser les patrimoines et de mutualiser les risques. La Banque des Territoires travaille de longue date avec le mouvement Hlm pour trouver des adaptations, des innovations favorables au développement pérenne de son cœur de mission. C’est bien dans cet esprit que s’inscrit cette initiative.
La Banque des Territoires a participé au financement des expositions « Coopérations, l’habitat social francilien en transition » & « posters carto » et vous avez été très présente sur l’espace Ile-de-France au Congrès Hlm. Quel est le sens de cet engagement auprès de l’AORIF ?
Le 80ème Congrès de l’Union sociale pour l’habitat en septembre 2019 à Paris a été l’occasion, en présence d’Eric Lombard et d’Olivier Sichel, de montrer la mobilisation et l’innovation de la Banque des Territoires en faveur des bailleurs sociaux, en réponse aux enjeux du logement abordable.
Dans ce cadre, la Direction régionale IdF a été partie prenante de 3 conventions régionales : un protocole de coopération avec l’Office Foncier Solidaire La Coopérative Foncière Ile-de-France, un protocole du Réseau des partenaires de l’habitat Ile-de-France (entre l’AORIF, l’AdCF, France Urbaine, l’Institut Paris Région, la Banque des Territoires, Action Logement et l’Ecole d’Urbanisme de Paris) et l’accord Préfet de Région Ile-de-France – Banque des Territoires – AORIF pour accélérer le développement et la mise en service des logements sociaux en Ile-de-France. Nous avons aussi signé des conventions de partenariat avec de grands clients comme Paris Habitat, Adoma et Polylogis.
Si la Direction régionale a aussi apporté son soutien aux actions menées par l’AORIF pour l’exposition « Coopérations, l’habitat social francilien en transition », c’est d’abord pour la qualité artistique de l’exposition et de son catalogue : il s’agit de formats réalisés par le photographe Cyrus Cornut de logements réhabilités et de logement neufs qui répondent aux enjeux de la transition énergétique, de la cohésion sociale et de l’innovation architecturale. L’exposition et le catalogue valorisent l’ensemble des territoires franciliens (les différents départements, les types de quartiers, en urbain dense, en zone périurbaine, en seconde couronne, etc.). Cette exposition était un rendez-vous pour valoriser un patrimoine qui bénéficie aux franciliens modestes.
Egalement co-financée par la Banque des Territoires, la cartographie sur le logement social en Ile-de-France, réalisée pour l’AORIF par l’Institut Paris Région, montre le logement social comme élément de la solidarité territoriale et participant à l’efficacité de la dynamique métropolitaine.
Ces actions témoignent aussi et bien sûr de notre attachement au partenariat avec l’AORIF car, au-delà de l’excellence des rapports que nous avons d’équipe à équipe, il s’agit d’échanger de manière continue pour faire prendre en compte les spécificités franciliennes et répondre ensemble aux immenses enjeux du territoire de l’Ile-de-France.
Selon vous, quelles conséquences la crise actuelle liée au Covid-19 pourrait-elle avoir sur l’activité de la BdT et sur le secteur Hlm en Ile-de-France ?
Comme l’a indiqué Eric Lombard, Directeur Général de la Caisse des Dépôts, le 8 avril lors de la conférence de presse relative aux résultats 2019 : « Le Groupe Caisse des Dépôts est mobilisé pour assurer la continuité de service public à des millions de Français dans leur vie quotidienne. Aujourd’hui, répondre à l’urgence suppose des solutions pragmatiques et immédiatement mobilisables ».
Ainsi, la Banque des Territoires s’est immédiatement mise en situation opérationnelle. Tous les bailleurs sociaux ont accès à nos services en ligne sur www.banquedesterritoires.fr permettant, simplement et rapidement, de faire une demande de prêt, de recevoir une offre, de la signer électroniquement et de piloter en ligne les versements. Nous avons adapté le processus de contractualisation par échanges numériques, avec régularisation ultérieure, et mis en place un processus accéléré d’éligibilité à la signature électronique.
Les collaborateurs de la direction régionale Ile-de-France sont chaque jour en contact téléphonique et électronique avec des bailleurs sociaux pour notamment accélérer les versements des prêts et comprendre leurs besoins spécifiques. Nous adaptons ainsi les modalités d’obtention des garanties, en particulier pour les contrats signés en attente des délibérations des collectivités locales. Nous pouvons mobiliser des concours de court terme pour les bailleurs sociaux qui ont un compte bancaire à la Caisse des Dépôts sur la ligne de trésorerie de 2 Md€, mise en place en 2018 dans le cadre du Plan logement sur une durée de découvert allant de 6 à 12 mois. Nous pouvons enfin répondre aux demandes de moratoire pour le remboursement d’échéance de prêts émanant de clients anticipant des pertes de recettes.
Au-delà, la Banque des Territoires fera tout dans les domaines d’intervention qui sont les siens pour permettre à l’économie francilienne de redémarrer. Avec une moyenne de 31 700 logements sociaux agréés au cours des 3 dernières années, plusieurs dizaines de milliers de réhabilitations, le PNRU et le NPNRU, le levier économique de la construction et de la réhabilitation sociale est considérable et contracyclique pour le BTP. Le secteur Hlm peut compter sur la Banque des Territoires pour lui apporter les moyens financiers nécessaires à la reprise des chantiers dès que les conditions seront réunies sur les plans opérationnels et juridiques et pour l’accélération des ses investissements. D’ores et déjà, nous mettons en place les prêts haut de bilan de la tranche 2 du PHB 2.0 pour 17 401 logements sociaux agrées en 2019 et 156 M€.
La Banque des Territoires sera à la manœuvre pour soutenir l’économie dans son ensemble, sur tous les territoires et pour tous les habitants. Cette relance passera nécessairement par le logement social. Dans la situation que nous connaissons, nous mesurons toujours plus la nécessité de réaffirmer combien le logement social est une chance pour les territoires pour offrir un logement décent aux plus modestes et pour maintenir, notamment dans les zones tendues, des solutions de logement abordable.
Il convient donc de chercher à atteindre le plus haut possible l’objectif régional adopté en CRHH de plus de 33 000 logements sociaux agréés en 2020, dont plus de 10 000 PLAI, et le rattrapage sur les territoires les moins dotés car la mixité est nécessaire à la cohésion sociale. Pour y parvenir, les bailleurs sociaux ont la possibilité de répondre, jusqu’à fin avril, à l’Appel à Manifestation d’Intérêt 2020 relatif à la souscription de Titres Participatifs et soutien en fonds propres. C’est d’ores et déjà un succès ; 48 bailleurs ont déjà manifesté un intérêt pour 620 M€ dont plus de 40% en montant en Ile-de-France.
Au sortir de la crise, les bailleurs sociaux auront aussi à développer un accompagnement adapté des ménages les plus fragiles, à définir de nouveaux services pour les populations âgées, les personnes à protéger. Il faudra s’adapter de diverses façons, innover. La démarche « Logement social en Ile-de-France, Idées neuves ! », initiée avant la crise par les opérateurs franciliens, sera sans doute à renouveler sur ces axes nouveaux. Les bailleurs sociaux franciliens ont, je crois, un dynamisme et une capacité d’adaptation qui leur permettront de répondre avec agilité à ces nouveaux défis.
En conclusion, je constate combien nous sommes et serons engagés pour accompagner ensemble les grandes transformations du pays et réduire la fracture territoriale.
Site internet : www.banquedesterritoires.fr