Le logement des travailleurs clés en Ile-de-France
Débat AORIF et dépêche AEF
Dans le cadre de son Assemblée Générale, le 4 juin 2021 l’AORIF a organisé une rencontre débat en visio sur « Le logement des travailleurs clés en Ile-de-France ».
La table ronde, animée par William Le Goff – AORIF et introduite par Bruno Rousseau – membre du Bureau de l’AORIF (voir sa tribune publiée sur News Tank Cities le 28/05/2021), a réuni :
– Laurent Goyard, directeur général, Fédération nationale des OPH (voir l’étude « La question des travailleurs clés en Île-de-France » publiée en mars 2021),
– Olivier Bajard, directeur régional, Action Logement Services,
– Claire Goudineau, directrice générale, RATP Habitat,
– Anne-Claire Davy, sociologue-urbaniste, et Sandrine Beaufils, démographe, Institut Paris Region (voir le document de présentation « Les travailleurs essentiels : qui sont-ils ? Un nouveau public des politiques du logement ? » et la chronique « Crise Covid : des travailleurs sous les projecteurs » publiée le 17/12/2020).
Suite à ce débat, AEF a mis en ligne une dépêche, que nous reproduisons ci-dessous dans son intégralité. Dépêche AEF info n°653361 publiée le 04/06/2021, rédigée par Lina Trabelsi, avec l’aimable autorisation de reproduction de l’agence AEF info.
Définir, identifier et loger : le chantier qui attend les bailleurs franciliens vis-à-vis des travailleurs clés
Un débat sur les travailleurs-clés franciliens était au cœur de l’assemblée générale de l’Aorif du 4 juin 2021. Il a permis de mettre en lumière la difficulté des organismes HLM à identifier ces publics, notamment en raison d’une définition aux contours larges et parfois mouvants. Des propositions et de premières solutions ont toutefois émergé, pour permettre une meilleure prise en compte des travailleurs-clés dans le processus d’attribution de logements sociaux. Mais cette prise en compte se heurte à celle d’autres publics prioritaires.
En Île-de-France, la question des travailleurs clés « ne manque pas de piquant car la question du logement en général est déjà extrêmement épineuse pour nous, bailleurs sociaux », déclare Bruno Rousseau, trésorier de l’Aorif et directeur général adjoint de 3F, en préambule d’un débat sur la problématique des travailleurs essentiels à l’occasion de l’assemblée générale de l’ARHLM, ce vendredi 4 juin. Bien que l’accueil des travailleurs clés « soit dans l’ADN des organismes HLM, on ne peut que se réjouir que le projet de loi 4D consacre le sujet de la priorité de l’accès au logement pour ces travailleurs », considère-t-il.
Ce projet de loi, qui sera présenté au Sénat en juillet, prévoit en effet de faciliter l’accès des travailleurs clés à un logement social. Pour l’heure, l’article 22 du texte s’en tient à toute « activité professionnelle qui ne peut être assurée en télétravail » et essentielle « pour la continuité de la vie de la Nation », et renvoie à un décret en Conseil d’État pour les modalités. Identifier les travailleurs considérés comme essentiels est pourtant un enjeu clé pour les organismes HLM. Un exercice auquel la fédération des OPH s’est frottée : elle a présenté en mars dernier les résultats de son étude commandée au cabinet CMI sur les « ménages clés » éligibles à un logement social en Île-de-France. Il en ressort que 1,16 million de ménages clés peuvent prétendre à un logement social ou intermédiaire.
OÙ POSITIONNER LE CURSEUR DE LA PRIORITÉ ?
Mais, comme le rappelle Olivier Bajard, directeur régional Île-de-France d’Action logement, « il y a eu, en 2020, 746 000 demandeurs de logement social en Île-de-France, pour 60 000 attributions ». Dans ce contexte, où positionner le curseur de la priorité pour les travailleurs clés ? En partant du 1,16 million de ménages clés éligibles au logement social, l’étude de la fédération des OPH resserre la maille : 77 000 ménages clés éligibles au logement social passent plus d’une heure dans les transports pour aller travailler, dont 25 000 qui relèvent des plafonds les plus bas de loyers (PLAI). « Cela constitue un gisement de personnes qui pourraient être considérées comme prioritaires », suggère Laurent Goyard, directeur général de la fédération des offices.
L’étude de la fédération est basée sur une liste de 159 professions recensées par l’Insee, mais la crise a montré que la définition des travailleurs clés n’était pas figée, estime Sandrine Beaufils, chargée de mission à l’Institut Paris région. Ce dernier publiera le 29 juin prochain, avec l’Insee Île-de-France, l’Apur et l’Observatoire régional de la santé, une étude sur les travailleurs clés dans la région capitale, qui avait été commandée par cette dernière en 2019. « La crise sanitaire nous a rattrapés au moment de préparer cette étude […] et a montré que la définition de travailleur clé possède des contours fluctuants, et mérite donc d’être élargie », témoigne Sandrine Beaufils. Elle cite l’exemple des salariés de l’agroalimentaire, qui étaient exclus, en 2014, de l’étude de l’Apur sur les travailleurs clés, mais qui seront introduits dans l’étude à paraître. Pour la chargée de mission de l’Institut Paris région, un élargissement de la notion de travailleur essentiel est nécessaire « si d’autres crises sanitaires, technologiques ou écologiques venaient à se produire ». Des questions demeurent en suspens : l’accès au télétravail suffit-il à exclure le caractère essentiel d’une profession ? Faut-il considérer la distance entre travail et domicile comme le critère déterminant, ou plutôt l’inadéquation entre salaire et coût du logement (loyer, mensualités), ou bien les deux ?
QUELLES FINALITÉS ?
Pour Anne-Claire Davy, également chargée de mission à l’Institut Paris région, il ne suffit pas d’aboutir à une définition claire des travailleurs clés mais aussi de « la faire atterrir dans les politiques publiques ». « Compenser les effets de la métropolisation », « favoriser la mixité dans le parc social » ou « réduire les déplacements et leur impact environnemental » sont autant de raisons qui poussent à faciliter l’accès des travailleurs clés au logement social, à condition qu’elles soient identifiées en tant que telles par les autorités publiques.
De leur côté, les bailleurs sociaux « font déjà du logement pour les travailleurs clés sans en avoir l’air et sans le savoir », plaide Olivier Bajard. Qui rappelle que « le gros » de la collecte de la Peec par Action logement provient d’entreprises telles que « La Poste, la RATP, la SNCF, Enedis ou GRDF ». Tout « un ensemble d’acteurs (dont nombre de salariés) entrent dans la catégorie des travailleurs clés » et auxquels Action logement répond en partie par son statut de réservataire. « La question, désormais, est de savoir comment faire mieux », estime le directeur régional d’Action logement, pour qui « la solution ne peut être que collective ».
SITES IDENTIFIÉS POUR LES PROFESSIONS DE SANTÉ
Un premier levier a été identifié par le groupe paritaire, qui travaille avec la région Île-de-France et l’Epfif à « l’identification d’une dizaine de sites […] où les collectivités locales seraient parties prenantes », et où la région envisage de renoncer à son droit de réservation pour désigner des travailleurs clés comme premiers candidats des programmes en question, précise Angelo Zagalolo, directeur du logement, de l’action foncière et du renouvellement urbain au Conseil régional. Cela en vue de « flécher ces logements vers les travailleurs du domaine de la santé, sous-représentés dans les attributions », ajoute Olivier Bajard. Ce dernier propose aussi un renforcement des partenariats entre des entreprises cherchant à recruter et des bailleurs sociaux, dans une logique d’attributions « d’emplois clés pour des publics déjà logés dans le parc social ».
« Nous devons développer une vision partagée de ces priorités au plus près des territoires », conclut Bruno Rousseau. Cette vision doit d’abord partir d’une identification plus simple des demandeurs de logement social exerçant une profession essentielle, au travers du système national d’enregistrement des demandes (SNE) notamment. « Nous savons que le travail est fait en matière de respect des priorités dans les Caleol, mais nous sommes quasiment aveugles » sur la proportion des travailleurs clés dans les demandeurs de logements sociaux, regrette-t-il. De fait, au début de l’étude de la fédération des OPH sur les travailleurs clés, « nous avions une intuition au sujet de laquelle nous avons eu complètement tort, à savoir que l’on arriverait, grâce au SNE, à identifier le gisement de travailleurs clés. On sait les retrouver parmi nos locataires, mais la visibilité est très faible dans le fichier des demandeurs », confirme son directeur général.